L’une des règles fondamentales de l’exploration urbaine, c’est évidemment de garder le secret. On ne doit pas révéler l’adresse du lieu que l’on visite, simplement pour préserver ce qui peut encore l’être, et demeurer seul. C’est égoïste l’exploration, parce que c’est meilleur de cette façon. Et pourtant je vais enfreindre cette règle parce que si je dévoile un cliché de cet ensemble grandiose, déjà tout Montréal sait qu’il s’agit de la Canada Malting. Les sites en parlant pullulent, difficile de ne pas la voir et de passer à côté. Elle fait partie du paysage du quartier Saint Henri dans l’arrondissement du Sud-Ouest, elle est un point de repère le long du Canal Lachine, et une énigme. C’est ce qui nous a poussés vers elle.
La petite histoire.
Construite au début du XXe siècle, 1905 pour être précis, l’ancienne usine de la Canada Malting, plus grande malterie en Amérique du Nord en son temps, est reconnaissable entre tous. Avec sa douzaine de silos à grains de 37m de haut, dont la moitié en céramique, elle a longtemps bénéficié de sa position stratégique sur le canal qui voyait bateaux et trains allant, ou revenant des Grands Lacs. Des centaines d’employés y travaillaient malgré la fermeture du canal en 1960, juste après l’édification des silos en béton, et jusqu’à sa fermeture en 1985 au profit de la nouvelle usine quai Bickerdike sur le port de Montréal. Depuis, la ruine de la Canada Malting a pris place dont le fantôme se dresse encore debout, tenu par la rouille et les débris de briques rouges.
L’acte fondateur.
C’est donc en se baladant le long du Canal Lachine qu’on l’a vue, et de loin je savais déjà qu’elle serait le point de départ de quelque chose. Le moment où tu bascules, où il n’y a pas de retour en arrière. Lorsque j’ai mis les pieds à Montréal il était clair que cette ville regorgeait de lieux à explorer, il n’y avait qu’à ouvrir les yeux, trouver l’entrée, s’y engouffrer. Gamin déjà j’ai pu m’initier à l’urbex sans le savoir, on le fait tous, quand on joue avec les potes du quartier. De vieilles bicoques souvent, ou un vieux fort, des cabanes dans un bois derrière le terrain de jeu où se cultivent les pires histoires. On les vandalise, parce qu’on est con, parce qu’elles nous font peur, ou parce qu’on s’ennuie. Puis on finit par les oublier. Mais là c’est différent, il y a l’idée d’explorer un patrimoine industriel, architectural ou historique laissé à l’abandon. Se faire le témoin d’une époque révolue, en photographier la déliquescence et ne pas déranger davantage. Et pour une vraie première, j’ai voulu voir en grand. Alors quoi de mieux qu’une montréalaise pur jus pour me trouver le spot idéal. J’ai demandé à Steph, elle m’a emmené là.
Le repérage.
On y est allé tous les deux un après-midi, l’occasion d’une belle balade. Sur place plus aucun doute, c’est accessible. Des gamins escaladent les escaliers extérieurs de la baraque au-dessus des silos. D’en bas j’ai le vertige et je veux y aller tout de suite, trouver l’entrée, me fondre à l’intérieur et observer. Un trou dans le grillage et quelques barbelés rouillés pour dissuader les moins téméraires ou pour rappeler l’interdiction de pénétrer, lorsqu’on y pénètre, rien de si terrible pour nous en empêcher. On fait le tour de la malterie où une marmotte à moitié tondue nous toise, comme les énièmes pégus urbains en mal de sensation qu’elle croise. Sur le côté de grandes et larges plaques de métal obstruent l’accès au bâtiment, mais pas le tunnel creusé juste en dessous. À l’image de tous les visiteurs précédents, nous aussi passerons par là. On se donne rendez-vous le lendemain, Béa en plus .
La visite.
Ce qui nous a d’abord frappés, c’est le contraste avec l’extérieur. Quand on entre, tout est calme, tout est délabré dans une espèce de cour intérieure, qui donne sur les tuiles en terracotta des silos d’un côté, de l’autre des bâtiments éventrés. Nous ne sommes pas seuls, on ne l’est presque jamais dans cette cathédrale industrielle, et des ados se balancent des briques et mettent le feu à divers endroits. On les entend toute la journée. Ils s’amusent peut-être à chat, mais nous ne les croiserons jamais. Tant mieux.
Dans un dédale de pièces on imagine à quoi servaient les grandes structures de fer et d’acier. Armé de mon argentique, je shoote les murs et la poussière solide d’une usine qui reste encore debout malgré les saisons, le temps, les gamins qui jouent. Il y a des graffs de partout et j’imagine presque laisser ma griffe moi aussi. Certains diraient que c’est aller contre cette règle d’urbex qui veut qu’on respecte le lieu, mais en faire un espace d’expression et de création, c’est quelque part lui rendre vie. Le débat est ouvert et je suis reparti comme je suis venu. On s’est laissé perdre des heures durant, évitant les cassures du sol, les fêlures ouvertes des toits et les briques qui pleuvaient. Saletés de mioches.
Allez jeter un œil sur les quelques clichés qu’on a réalisés: Montréal Canada Malting Co ltd.
Quel avenir pour le site?
Trop cher à démolir, trop cher à réhabiliter et pourtant patrimoine historique de la ville… la Canada Malting est aux yeux de beaucoup une verrue, un bouton qui suinte les problèmes qui se payent en cash et en caisse de dollars. Nous, on y voit quelque chose de grand et beau, le plus éloigné si possible de l’embourgeoisement que pourrait susciter un projet de rénovation. La gentrification du Canal ça n’est pas quelque chose de nouveau, donnons à la malterie une autre destination et gageons qu’un jour ou l’autre les autorités compétentes se sortent un peu les doigts du cul. Une bonne fois pour toutes. Parce que des intentions, il y en a.
- Reconversion du site.
- Réappropriation de la Malting.
- Des idées en voilà (p76, forcément, c’est quelque chose qui nous parle tout particulièrement).
Bah oui, tout ceci est bien joli, mais en 10 ans, il s’est passé quoi? Retour en arrière avec ce document de 84 pages: étude de potentiel du site. Édifiant quand on s’est qu’il n’y a rien eu depuis, ou si peu.
Crédits photos: (1 et 4) Bob’s corner; (2) Khai Pin; (3) h-e-d; (5) montreal_bunny.
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Jezabelle
18 février 2019 at 13:58
Je trouve ça trop classe de faire ce genre de visites. Au Japon il y a des millions de haikyo, le paradis de l’urbex
Bérénice
25 février 2019 at 06:32
Aussi à Détroit malheureusement pas si loin.
Clément
28 avril 2019 at 05:22
C’est le feu de faire de l’urbex, ce genre structure comme une vieille malterie est une aubaine!
Thom
21 décembre 2019 at 04:34
Je trouve ça beau, alors que c’est délabré
Oliech
24 mars 2020 at 18:04
Pareil, d’autant plus avec l’architecture industrielle, ça m’hypnitiserait presque. Étrange sensation
Milly
9 juillet 2020 at 03:26
Cet endroit est suffisamment lugubre pour y adapter un roman de Stephen King 🙂