Carte postale du Québec.

greeting card quebec

Tu n’aurais pas préféré ces cartes postales, de celles qui sont colorées où le temps du Québec serait celui d’une âme lancinante en automne, sur de grands paysages, avec lesquels j’aurais l’envie d’écrire ces quelques mots. Je pense à toi, tu me manques, ou pire encore, un tas de lieux communs qu’on bave à l’aune de ses vacances. Histoire de faire un peu chier l’autre. Je les traduis, par la force des choses, puisque je suis parti sans toi. Et tu m’en aurais voulu de ne pas t’avoir un peu raconté ce que je fais ici, même si ce sont des craques.

Tu sais, pas plus qu’il n’y aura d’autres légions, seuls Marc Antoine et Cléopâtre ont traversé. Tu ne les connais pas. L’occasion de se faire un road trip à travers Charlevoix, en remontant vers le Nord, ça t’aurait plu. On ne prépare rien puisqu’on s’en fout. On a juste loué une Chevrolet, suivi des yeux le courant du Saint-Laurent depuis Montréal, et on a roulé.

Après 3 jours dans la capitale, on quitte le fleuve en bifurquant sur la 381 qui longe la réserve faunique des Laurentides. On n’avait pas prévu de s’en prendre plein la gueule comme ça, sur une route déserte, traversée simplement par quelques trucks qu’on voit dans Maximum Overdrive, tu t’en rappelles ? Tout aussi rutilant sous la crasse, ils sont dans cette nature moins énervés. En roulant sur le bord en gravier des routes, ils charrient les fantômes d’une armée en campagne, puis nous laissent passer. Quand la poussière s’estompe on voit des lacs, pas grands, mais de partout. On s’arrête de temps en temps, les arbres tombent sous la mitraille de Cléopâtre et puis on repart.

Arrivés à La Baie, on se repositionne en face de toi en mettant le cap à l’Est et j’imagine l’océan qui nous sépare, direction Rivière-Éternité, un nom en guise d’invitation à la spiritualité, pour longer le fjord et entrer dans le parc de Saguenay. Au poste la garde forestière nous fait signe de continuer, c’est gratuit pour nous parce qu’on se pointe quand elle se barre. On descend la rue Notre Dame et nous sommes seuls. Camping fermé, bivouac, 5 degrés. On met de la Boréale au frais dans un semblant de ruisseau, et je dis à Cléopâtre qu’il faut qu’on pisse tout autour de la tente pour marquer notre territoire et pas se faire grailler par les loups, mais que c’est à elle de le faire. Elle me traite de con, et je lui dis de préparer la bouffe. Marc Antoine acquiesce, il se fait traiter de con lui aussi.
J’ai cru te voir lorsqu’elle avait le majeur levé.

La nuit est courte, on se réveille avec la lumière du jour. Il est 5h30, timing parfait pour une randonnée à la fraîche. Ça glande sévère dans les rangs, 8h. Enfin partis on crapahute, j’en chie un peu mais j’le montre pas. Je maudis secrètement mes 10 ans de cigarettes et dessine une petite pensée pour toi, là, sur un rocher. Je t’esquisse en train de crever dans cette montée qui n’en finit pas et t’imagine faire semblant de renoncer. Là, je voudrais voir ton sourire. Plus loin, on tombe nez à nez avec un porc-épic suivi par la faune entière du parc, qui nous ignore, et on continue jusqu’à la grande Dame du Saguenay, une vierge en bois blanc, pour un panorama sur le fjord.

Plus tard, on croise un guide qui mène un groupe en canoë. Sans vraiment comprendre comment c’est arrivé, je me vois en train de gueuler sur Marc Antoine qu’est pas foutu de pagayer. Je n’avais plus de jambes, désormais je n’ai plus de bras, mais lorsqu’on forme un grand radeau à la jonction de Baie Éternité et de la Rivière Saguenay, j’voudrais pas être ailleurs dans le monde.
Tu vois, je suis bien dans mon décor de carte postale.

Tu vois, je suis bien, même quand tu n’es pas là.

Crédits photo: vintagepostals.

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10 Commentaires

  1. Laurine

    7 septembre 2015 at 13:59

    J’aime! On change de ton mais on ressent ce style du premier texte. Je crois que cette série va me plaire 🙂

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  2. Étienne

    23 septembre 2015 at 10:49

    J’aime cet article, et la fin sonne comme une sacré punchline 🙂

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    • Johanne

      11 septembre 2016 at 05:49

      Oui, elle m’a un peu bousculée moi.

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  3. Anne-Laure

    12 octobre 2015 at 16:59

    ce qui me plaît c’est ce genre de parenthèse qu’on s’interdit sous de faux prétextes, c’est ce genre de message que je reçois même si c’est tout ce que vous n’ecrivez pas, c’est ce que je lis entre les lignes, alors j’aime et je le garde comme ça même si, si ça se trouve, je fais complètement fausse route 🙂

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    • Zoey

      26 juillet 2016 at 14:18

      Je suis bien d’accord et ce qui ne gache rien, c’est très bien écrit!

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      • Houston MacDougal

        29 juillet 2016 at 15:39

        Merci! 😉

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  4. Antonin

    22 juillet 2017 at 07:06

    Belle écriture 😉

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    • Wisley

      18 novembre 2018 at 11:46

      J’allais le dire, un bon moment de lecture

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  5. Liian

    29 avril 2020 at 03:10

    Chanmé.

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  6. léa

    22 août 2020 at 08:00

    la fin sent la rupture ou la fin du deuil après une relation; il y a beaucoup de choses et l’ambivalence brouille les pistes alors je l’aime d’autant ce récit de vacances, cette longue et cruelle carte postale…

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